Il était une nuit, Ils étaient En Voix dans l'Oise
Le 04/12/2019 | Par Charles Arden
La deuxième édition du "Festival En Voix !" repart diffuser la culture musicale à travers les Hauts-de-France. 16 spectacles sur 49 représentations dans des lieux insolites, comme cette Salle polyvalente d'Estrées-Saint-Denis qui accueille le Jeune Chœur de l'Oise avant "Il était une nuit", spectacle chanté par le quatuor A Bocca Chiusa mis en scène par Emmanuel Ménard :
La nuit noire et froide est déjà lourdement tombée sur la gare d'Estrées-Saint-Denis, sur le syndicat des betteraviers qu'il faut longer, après des entrepôts et silos, avant un cimetière, pour rejoindre la Salle polyvalente où l'équipe s'affaire à déplacer des tables de ping-pong en veillant à ne pas abîmer les affiches de twirling (discipline entre la Gymnastique et la Majorette, populaire dans le Nord de la France). C'est pourtant bien là qu'a lieu le concert ce soir, c'est justement là comme dans d'autres villes trop longtemps éloignées de la culture, que le Festival En Voix ! veut rayonner, depuis le Théâtre Impérial de Compiègne.
Le tennis de table aura lieu dans la grande salle de sports à droite en entrant, tandis que le concert sera dans la salle de gauche mais les portes seront bien fermées, de sorte que pas le moindre bruit de balle ne vienne perturber la délicatesse de la musique offerte ce soir. Une délicatesse au rendez-vous jusqu'au pianissimo maîtrisé, malgré la jeunesse des premiers interprètes ce soir. Le Jeune chœur de l'Oise est annoncé en "avant-concert" mais propose plus encore qu'une première partie. Les adolescentes musiciennes donnent le la du voyage qui se prolongera toute la soirée, entre chants classiques, folkloriques et traditionnels avec toute la précision et la douceur qu'offrent des voix justes, emplies de souffle. Leur parcours à travers les cultures et les mélodies compose même des harmonies claires et justes sous la direction de Valéry Thuet, depuis le piano, à la main ou chantant parmi elles avec autant d'implication et de précision que de bienveillance.
La nuit n'est alors plus si noire et si froide, sur cette vaste plaine de cultures, et grâce au spectacle qui propose justement de plonger dans une nuit onirique et musicale. "Il était une nuit", s'intitule-t-il, mais l'histoire racontée (la soprano et le ténor tombent amoureux au désespoir du baryton qui se console avec la mezzo) n'est qu'un prétexte, pour s'amuser des clichés d'opéra sur ces tessitures et surtout pour enchaîner des morceaux de styles variés, réharmonisés à quatre voix (par Brice Legée, John More, Etienne Planel, Marcelo Minal). Mais si les morceaux divers s'enchaînent, ils ont pour point commun de parler de la nuit et ils ont été savamment choisis pour leurs figuralismes : des mots illustrés par la musique, qui peuvent l'être aussi par la mise en scène, composant une continuité ludique au spectacle. L'unité est ainsi assurée par la scénographie travaillant les différents airs en autant d'épisodes et avec autant de petits accessoires et costumes, amusants et fantasques. Même dans cette "salle polyvalente" et avec seulement quelques projecteurs, le spectacle peut aussi passer de la nuit noire à l'obscurité et jusqu'au lever du jour.
Les quatre solistes traversent toute cette nuit entièrement a cappella, avec une même application sonore et théâtrale, bâillant et claquant des doigts sur des berceuses comme du rock'n'roll acoustique. Ils parcourent et investissent les lieux, cheminant bras-dessus bras-dessous, reformant brièvement un traditionnel demi-cercle de choristes mais pour mieux s'éclater en allant chanter parmi le public, se cacher, réapparaître. Commençant par des chansons classiques (mais aussi animées et bruitées par Le Chant des Oiseaux de Janequin), les artistes jettent leurs peignoirs nocturnes aussi colorés que leurs cravates et se lancent dans un répertoire fusion (Kurt Weill repris par The Doors, ou le dialogue entre L'Étrange Noël de Monsieur Jack et la Danse Macabre de Saint-Saëns, les lampes torches et les masques du Fantôme de l'opéra installant un climat angoissant), chanson française (le Jardin extraordinaire de Charles Trenet, la Chanson douce d'Henri Salvador), et variété (Queen, Coldplay).
Ces chanteurs ont constitué leur quatuor vocal en ensemble, nommé A Bocca Chiusa. Le volume sonore reste certes mesuré (idoine pour cette salle festive mais peinant à emporter des sommets d'énergies tel que Don't stop me now de Queen), mais ils savent aussi projeter et soutenir leurs intentions vocales et scéniques : leurs bouches ne restant pas fermées pour ce faire, bien au contraire, au vu de leur qualité d'articulation.
Morgane Boudeville, par une voix de mezzo ample et riche assure l'assise de l'ensemble avec des couleurs et des appuis de contralto, qui ne l'empêchent pas de monter vers des aigus d'oiselet. Caroline Michel, la soprano, est également riche en graves, soutenant ainsi un sourire vocal dans les aigus et en particulier les notes tenues à l'envi, droites comme vibrées. L'accroche vocale est constante, plaçant des lignes fixes quels que soient les mouvements scéniques et affectifs.
Le ténor est Olivier Merlin, l'enchanteur imitateur de George Michael, dont il déploie la voix à pleine gorge pour réveiller (s'il en était besoin) les foules au fond de cette nuit : Wake me up before you go-go ! Son énergie communicative pour l'ensemble et le public est toujours animée, y compris dans une ligne frétillante jusqu'au risque de s'engorger. Son endurance se manifeste nonobstant, à travers ce programme aux interventions exigeantes, balayant les registres vocaux et le chant parlé.
Pierre Barret-Memy marque par ses accents musicaux comme ses accents dans les différentes langues chantées (un anglais so british). Le baryton, comme sa tessiture l'indique et comme ces arrangements l'y invitent, se fait vocalisant tel une basse (il en a les notes de l'ambitus, tout en douceur) pour poser les accords des chansons mais il se déploie aussi vers un aigu soutenu et éclairci dans de longs solos.
Le public applaudit entre chaque morceau, qu'il savoure, fasciné jusqu'à la dernière goutte : comme le bis de circonstance. Une fois cette nuit écoulée où nul n'aura fermé l'œil ni l'oreille, il est en effet temps de boire un café pour se réveiller. Mais sans en abuser comme dans cette chanson d'Oldelaf ! L'harmonie même effrénée reste pourtant aussi riche et corsée, tandis que le plateau est recouvert de gobelets en plastique : représentant les hectolitres de cafés mais annonçant aussi le verre de l'amitié entre public et artistes ravis.